• mémée rend son tablier

    Et voilà, ma mémée, l'Angèle, comme on dit au village, née en 1914, a quitté sa maison pour rejoindre une maison de retraite. Elle dit qu'elle va attendre la mort, ce sont ses mots. Le jour où on a fait ses valises, je l'ai vue jeter son tablier à la poubelle. Je n'ai pas pu m'empêcher de le récupérer. Ce n'est pas une mémée calin, tendresse mais ce sont mes racines, elle est ma seule et unique grand-mère de toujours. Et puis je me souviens avoir sauté sur ses genoux en l'écoutant chanter "j'ai la rate qui se dilate..." ou "à dada sur mon bidet..." Ce tablier, c'est un peu toute sa vie. Dans un film sentimental, elle me l'aurait tendu comme un flambeau en me disant" Tiens, c'est à toi de faire vivre ton foyer..." ou quelque chose dans ce genre-là...

    Depuis que je suis mère je pense souvent à elle, à sa vie de femme, à sa propre maternité. Le moins qu'on puisse dire est qu'un gouffre la sépare de sa propre fille, ma mère donc. Quand elle s'est mariée, elle n'a pas été enceinte puis son mari et parti à la guerre. Elle est restée avec ses beaux-parents, à la ferme. D'après les rares mots qu'elle a à ce sujet, ça ne devait pas être la joie, sans doute une bouche en plus à nourrir dans des temps difficiles. Au retour du mari plusieurs années sans bébé, une ou deux fausses-couches et enfin la naissance de ma mère. Ma mère qui lui en veut tant de l'avoir mise en pension chez les religieuses à l'âge de 4 ans jusqu'à ses 18 ans... Deux femmes qui ne sauront jamais se parler, qui ne se seront jamais calinées, embrassées... Ma grand-mère se plaint beaucoup, comme si elle n'avait jamais l'impression d'être écoutée. L'a t-elle été dans sa vie? Elle ne dit pas grand chose de sa vie, de ses joies, de ses peines.

    C'est sans doute en partie à cause de cette histoire que je suis préoccupée par l'attachement parent-enfant, par le maternage, par la liberté... C'est une de mes plus grandes satisfactions que de pouvoir dire depuis quelques petites années que je vis en paix avec ma propre mère. C'est mon entrée dans la maternité qui m'a poussée à faire la paix avec elle, pas envie de perpétuer la "malédiction", la tradition de détachement... Et puis je vis ce bonheur d'avoir des amies, pas que des copains pour courir, grimper et surtout pas causer des choses intimes... Je me sens femme, féminine, entourée d'autres femmes, choses qui me semblait impensable il y a 10 ans encore... Bon d'accord, je pétoche encore un peu d'avoir une fille un jour. Saurai-je ne pas reproduire cette relation difficile? Je crois que la réponse est dans le fait de me poser la question: un parent conscient est moins dangereux peut être...

    Alors merci mémée et continue à jouer au scrabble avec les copines en attendant la mort!

    Ce soir je rajoute à ce texte une pensée pour les Indiens que j'ai rencontré en sillonnant l'Inde en 2000, après la canicule: tous étaient convaincus que nous abandonnions les vieux, que nous les laissions mourir seuls dans des endroits infames. je sentais mes explications partir en fumée en même temps que je les prononçais: non nous ne vivons pas sous le même toit, c'est beaucoup mieux pour toute la famille que les vieux soient pris en charge par des professionnels, que nous n'avons pas de temps à leur consacrer, nous sommes trop occupés pour cela... Curieuse conception de la vie,non??? 

     


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